dimanche 21 janvier 2007

Formathèque


Je reviens de ma permanence à Formathèque, le salon des formations qui se déroule en janvier tous les deux ans à la Beaujoire à Nantes.

Je suis frappé par le fait que, depuis plusieurs années, les lycéens qui viennent sur le stand de l'IUT sont accompagnés par leurs parents. Ce sont les parents qui nous posent des questions. C'est à peu près la même chose aux journées Portes ouvertes de notre établissement. Dans l'ancien temps, si nos parents nous avaient seulement accompagnés, cela aurait été sans doute une cause de crise familiale ! Etonnant quand on répète qu'il faut apprendre l'autonomie, blabla blabla...
Ceci dit, on comprend que les parents s'inquiètent pour l'avenir de leurs enfants. J'invite les parents alors à venir voir le comportement de leurs enfants une fois qu'ils sont recrutés dans nos établissements. Je suis pour les portes des amphis, des salles de TD ouvertes ...

Nous avons été questionnés sur formation et emploi.

J'étais lycéen à une époque où il n'y avait pas de formathèques, de plaquettes en papier glacé. Il y avait le BUS (Bureau Universitaire de Statistiques). Le prof d'histoire nous proposait des documents sur différents métiers, réalisés par cet organisme officiel. Mais je n'ai jamais entendu parler de "classes préparatoires", "grandes écoles" au lycée. Comment ça s'est passé pour moi (et ce fut de même pour mes camarades d'une petite ville du limousin) :

- Je voulais faire un métier qui se passe à l'intérieur et à l'extérieur. J'avais repéré une documentation sur Géomètre expert (formation à Livet à Nantes. Ce fut la première fois que j'entendais "parler" de ce lycée)...
- J'aimais beaucoup les sciences nat (il faut aussi aller à l'extérieur chercher de quoi monter des TD). Ce doit être une des rares matières où j'ai obtenu prix ou accessit à la distribution des prix annuelle. En terminale, j'ai appris qu'il fallait pour cela faire SPCN (Sciences Physique Chimie Naturelles) en fac des sciences .
- Deuxième bac en poche (en première, j'ai eu un bac C, latin-maths, en terminale, le deuxième bac fut le bac philo), je suis parti à vélo camper en Auvergne où j'ai rencontré une prof de sciences nat qui m'a dit qu'il y avait très peu de postes au CAPES, peu d'emploi dans l'industrie (la recherche pétrolière avait perdu son importance (étonnant quand on connait la suite), etc.).
- Je m'étais inscrit au CNED pour me mettre au niveau de la terminale "Maths élémentaires" pendant les vacances afin de faire SPCN. La même formation servait aussi pour Sciences Economiques.
- J'avais bien aimé le cours d'histoire sur la crise de 29, alors j'ai opté pour Sciences Eco.
- J'ai fait ma première année à Limoges (Ecole de droit rattachée à la fac de Poitiers). A l'époque,
Sc. éco n'était pas indépendant de la fac de droit. J'ai donc eu des cours de droit civil, droit constitutionnel. Nous ne connaissions pas les profs de Poitiers. Nous entendions des rumeurs sur ces profs que nous allions rencontrer pour les oraux. Par exemple, nous savions qu'il fallait avoir une cravate de telle ou telle couleur pour passer devant tel prof. Peut-être un canular, nous ne le savions pas.
- J'ai décidé alors de faire la deuxième année à Poitiers. De toutes façons, en troisième année, il fallait aller à Poitiers.
- J'ai alors profité de la Cité U. J'en ai apprécié le confort, le fait que l'on travaillait en commun dans les salles de travail qui avaient été réclamées par l'UNEF. Je crois me souvenir qu'elle avait obtenu la création de GTU (Groupes de Travail Universitaire, un deuxième année aidant les premières années au sein de ces groupes fonctionnant dans les cités U). Je me souviens des mois de mai où ça bossait dur. Les carabins étaient les premiers à l'ouvrage le dimanche matin. Parfois vers 5 ou 6 heures du mat, un poussait un grand cri de défoulement. Quand on voulait se défouler, il y avait aussi les tables de ping-pong. Plusieurs citadins restaient le dimanche car nous venions de loin, peu d'argent et aussi parce que plusieurs avaient souvent de meilleures conditions de travail en Cité U qu'à la maison. J'ai créé l'Association des résidents de la CU. J'ai obtenu sans difficultés que la CU soit abonnée au Canard Enchaîné, au Monde, au journal local. Je n'ai pas été peu fier quand j'ai pu faire venir l'expo des dessins du Canard à la Cité U. Ce fut l'occasion de bonnes rencontres.

A la Cité U, je me suis fait des amis. On se retrouve toujours. L'un est prof des universités en économie, l'autre est économiste travaillant dans les pays en développement, l'autre est docteur en physique et médecin, prof , l'autre est à la RATP, etc. Nous étions copains aussi avec notre femme de ménage qui nous a invités à déjeuner un dimanche chez elle. (A noter que dans les années 70, l'ambiance avait changé. Des étudiants se prenaient pour des riches dans un hôtel de luxe. Les femmes de ménage regrettaient l'ancienne ambiance).
Au RU, il fallait compléter les tables. On était servis à table. Les filles ne devaient pas aller chercher l'eau (sinon, tout le monde tapait sur le pôt à eau de la table). Résultat : on rencontrait des étudiants de toute formation et la mixité était assurée ou presque.

- Considérant que la formation que j'avais reçue pouvait me servir pour être Ministre de l'économie ou encore passer des concours (Impôts, Douane, etc.) , je ne me voyais pas dans une entreprise. Alors je me suis inscrit à l'IAE une fois la licence sc éco obtenue (elle se faisait en 4 ans) et en même temps en DES (j'allais écrire, notre DEA actuel. Mais les DEA sont maintenant des masters recherche... lesquels doivent devenir des Master tout court. On n'est pas à court de noms de nos jours !).
- Comme dans ma ville il y avait des discussions sur la ligne de chemin de fer (à supprimer, à maintenir ?), que j'avais fait un stage "connaissances de la Suède " (j'avais posé ma candidature suite à un article du Monde) au cours duquel je m'étais interessé au "socialisme suédois" (qui posait la question du secteur public et du secteur privé). C'était quand Pompidou disait qu'il voulait pour la France, ce que faisait la Suède mais avec le soleil en plus, j'ai choisi le sujet "Déficit et options tarifaires dans le chemin de fer".

Aucun prof ne proposait de sujet. L'encadrement était totalement inexistant.

Un prof en cours nous avait dit : je ne sais pas si mon cours vous sera utile, mais je suis sûr que si vous apprenez à taper à la machine, cela vous servira.

J'ai acheté sur ma bourse une machine à écrire et ai trouvé un petit document qui donnait des gammes à faire pour apprendre à taper avec tous ses doigts. Il fallait taper sur des stencils. On corrigeait les erreurs avec du vernis à ongle. Il n'y avait pas Word ou Latex ! Je me suis acheté un Petit Larousse d'occasion. J'avais les outils de base pour rédiger un mémoire de DES.

Pour la théorie, j'ai écrit à quelqu'un qui obtint le prix Nobel en 1988, Maurice Allais. Je n'en avais jamais entendu parler pendant les 4 ans de licence. Il m'adressa copie de ses écrits.
Un article de Marcel Boiteux (alors président de la société internationale d'économétrie, directeur ou Pdt d'EDF) était cité, repris dans plusieurs thèses. Il comportait quelques lignes de mathématiques très très élémentaires. Mais c'était très très erroné ! Pourtant c'était passé devant plusieurs jurys ! ALors j'ai écrit à Marcel Boiteux. Il m'a répondu : vous êtes le premier à m'avoir écrit sur ce papier. L'original est paru dans La rouge et la noire (j'ai appris que c'était la revue des Polytechniciens) sans co(u)quilles. Il a été republié dans la Revue de sciences économiques (je cite peut-être mal le titre de cette revue) avec des co(u)quilles. "

- Les stages au sein de la scolarité n'existaient pas en fac. J'ai, toujours en lisant Le Monde, trouvé un stage à la direction de GDF à Paris, où j'ai travaillé sur la tarification (toujours la tarification dans le secteur public, question qui se pose toujours : à quel prix l'IUT doit facturer ses prestations, à un autre établissement du secteur public, à une entreprise privée, etc. Là j'ai appris à utiliser un crayon et une gomme. J'ai vécu une augmentation tarifaire (ça se fait souvent pendant les vacances !) et les discussions pour le gaz de la mer du nord.

- Moniteur à l'IAE, j'ai pu avoir une information de première main. Les IUT recherchaient des enseignants de ce qu'on appelait alors l'Analyse (on formait des analystes-programmeurs), matière qui ne s'enseignait pas à l'université. Une formation avait lieu à Toulouse (pour des titulaires d'un DES d'informatique. Il y en avait très peu en France à l'époque), une autre à Montpellier (pour les titulaires d'un DES de maths ou d'économie). Nous avions le statut d'assistant des universités. C'était un cas sans doute unique : des élèves maîtres dans l'université. Nous faisions cours aux "Années spéciales" (appelé ensuite APPC). A Montpellier, les Années Spéciales étaient souvent des "pharmaciens"...). "Economiste" je n'avais pas les cours d'économie, gestion, compta. Je n'avais pas d'anglais, pas de techniques de communications. Mais je (et je n'étais pas le seul) n'avait jamais autant travaillé. Les soirs, nous nous réunissions pour rédiger en polycopié les cours de la journée. Je dit cela aux étudiants de l'IUT. En IUT, il y a beaucoup de travail, et aujourd'hui les programmes sont beaucoup plus chargés qu'il y a 30 ans. Or leur comportement...

- Avant d'aller à Montpellier, j'ai obtenu un stage Armée Jeunesse que j'ai fait au Centre d'Essais des Landes (CEL) à Biscarosse. On logeait au bord du lac dans d'anciens locaux de Latécoère. J'étais en stage au service Informatique de gestion. Un autre étudiant était au service Informatique scientifique. J'avais été frappé d'apprendre que des programmeurs écrivaient du Fortran (j'avais découvert le Fortran quand mon copain en thèse de physique m'avait invité à suivre un cours destiné aux thésards de son labo) sans comprendre les formules écrites par des polytechniciens (c'est ce que m'a dit l'autre étudiant). Depuis j'ai compris ce que cela voulait dire. Mon sujet de stage : un député avait dans une question orale à l'Assemblée, demandé le coût des essais du Missile Pluton. On m'a demandé de calculer ce coût. J'étais en plein dans le problème de la facturation privé/ public, et public/public. C'est là que j'ai découvert les conséquences d'une mauvaise abstraction. On ne m'avait jamais fait prendre conscience de cela. Pendant toute ma carrière j'ai souvent pris l'exemple vécu au CEL. Les données qui sortaient de l'ordinateur étaient inutilisables pour calculer les coûts. J'ai recherché la cause qui venait d'une mauvaise abstraction. J'étais tout prêt à écouter les cours que j'allais suivre à Montpellier.

- A Pâques, tout le monde voulait rester dans le Midi. J'ai dit : je ne veux pas dépasser la Loire ... et je me suis retrouvé à l'IUT de Nantes. Amusant, si je trace une droite reliant ma ville de naissance et mon lycée à Montpellier et si je la prolonge au nord, elle passe par Nantes. La carrière, c'est mathématique !
A noter aussi que les salaires d'un assistant étaient à l'époque plutôt bas. Aussi personne ne voulait aller à Paris par exemple.

- J'ai fait mon stage à l'Agence ICL de Nantes (ICL était l'entreprise anglaise fabriquant des ordinateurs. L'ordinateur de la Caisse d'Epargne, l'ordinateur de la Mairie de Nantes étaient des ICL). Mon encadrant était l'ingénieur qui faisait un cours à l'IUT sur "la méthode CANTOR" (Cantor - la théorie naïve des ensembles - allait me suivre avec la méthode de spécification formelle Z, puis B de J.R. Abrial). Pendant mon stage j'ai suivi son cours de Cantor à la Caisse d'Epargne de Rennes et ai suivi ses analyses dans des entreprises. A Rennes, la C.E. était proche de l'Agence Bull. Je suis allé leur demander s'ils avaient des cours d'analyse et de programmation. Ils m'ont parlé de LCP et de Warnier.
J'ai ensuite enseigné Cantor à l'IUT. Cantor allait de l'étude de l'existant à la programmation.

- Je me souviens de mon premier td de programmation (c'était en Cobol). Je fus alors plus rapide dans la lecture de la doc Cobol que les étudiants, mais au bout d'une semaine... Je n'avais pas grand chose à leur apporter.
J'ai alors pris contact avec J.D. Warnier de Bull. Warnier avait écrit un livre où il utilisait la théorie des ensembles et un peu de logique pour construire des algorithmes. L'équipe éducation de Bull avait l'esprit mai 68. Ils sont venus nous former pendant des vacances à l'IUT alors que nous étions équipés d'un ordinateur IBM partagé avec l'ENSM (qui est devenue l'ECN).
Nous avons pu alors enseigner vraiment la programmation. On a enseigné LCP jusqu'à tout récemment. J'ai suivi les travaux de Warnier dont LCS (Lois de Construction de Systèmes) qui était en avance sur les publications à venir sur le Modèle relationnel n-aire de Codd.

- Je devais enseigner l'organisation (j'avais eu un cours d'OST à l'IAE). J'avais appris que pour créer la R.O (recherche opérationnelle), on avait réuni des mathématiciens et aussi des physiologues habitués à raisonner sur des systèmes. Je me suis inscrit en psycho où j'ai suivi (fac des sciences) des cours de psycho-physiologie (et des TD fort intéressants), de psycho-pharmacologie. Je me suis retrouvé licencié en psycho.

- Je n'avais pas eu de cours sur les langages (le cours de Cobol avait consisté à apprendre une ou deux instructions à chaque séance !). Je me suis inscrit au certificat de linguistique générale à la fac de Lettres.

- Je n'avais pas eu de cours de logique, alors j'ai suivi les cours de la licence de logique de Nantes (il y en avait très peu en France). J'ai particulièrement apprécié le livre du professeur J.L Gardies (Esquisse d'une grammaire pure, Vrin), pour moi un chef d'oeuvre.

- Les cours d'analyse informatique s'appelaient aussi "Méthodologie". Or ce sont les philosophes qui font de la méthodologie. J'ai suivi le cerficat d'histoire des sciences et d'épistémologie qui comprenait un cours sur Histoire des algorithmes et des algèbres.

- Comme je venais de Sciences éco, je ne pouvais être assistant titulaire. Les matheux eux le pouvaient. Alors j'ai passé un Capet sans trop en connaître le programme. Je me suis retrouvé alors sur statut du secondaire.

- Puis ...

Ce que j'ai appris c'est qu'il y a du fondamental et du non fondamental. Le fondamental c'est ce qui souvent est le plus réutilisable. Et je me suis spécialisé petit à petit (on devient feignant en vieillissant) dans ce que l'ordinateur ne pourrait jamais faire à ma place : spécifier un problème.

J'ai appris aussi l'autonomie, faute d'encadrement. Je regrette bien sûr de ne pas avoir eu des cours comme peuvent en avoir mes étudiants. J'ai perdu beaucoup de temps à chercher des sources de formation. Mais j'ai vécu aussi une époque où il y avait très très peu de livres. J'ai participé à la création de matières d'enseignement. J'ai écrit des livres. J'ai créé des conférences à Nantes dans un domaine où il y en avait très peu. J'ai choisi les conférenciers, je me suis ainsi formé. J'ai mis la famille à contribution pour coller des enveloppes, préparer les salles des conférences. J'ai rencontré des gens formidables qui m'ont communiqué leurs écrits avant même qu'ils soient publiés. Je me suis fait des amis.

Finalement, j'ai pu me passer de formathèque.

Quant à orienter les étudiants ... Ce que je peux dire à un bachelier : ne va pas dans une formation si tu n'as pas envie d'étudier dans cette formation. Ne pas "prolonger ses études" si on n'aime pas écouter un formateur. Il faut apprendre les bases, poser des questions aux profs quand on ne comprend pas (ce qui suppose de formaliser la question. Il ne suffit pas de dire "je ne comprends pas"). Il faut profiter des écrits, être un lecteur attentif, exigeant.

Ce texte n'est pas bien rédigé. Mais peut répondre à des questions qui nous ont été posées ce matin à Formathèque.

Et nous sommes dimanche, il ya autre chose que le clavier dans la vie !

1 commentaire:

Unknown a dit…

J'étais à Formathèque hier après-midi et j'ai pu constater la même chose : beaucoup de lycéens venus avec leurs parents, parents qui posaient les questions à la place de leur progéniture. Je ne sais pas trop ce qu'il faut en penser, j'ai toujours un peu peur de voir des étudiants propulsés par leurs parents dans des filières qui ne leur correspondent pas, simplement parce qu'il y a un certain "prestige" associé (nul doute que les classes prépas jouissent d'une image de marque que l'Université a parfois du mal à concurrencer malheureusement).

 
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