mercredi 28 mars 2007

Leibniz et sa notation

Les informaticiens aiment mélanger nombres entiers et autres lettres de l'alphabet pour nommer.
Ainsi b4free se lit "b pour gratuit", "p2p" se lit "peer to peer"...

Leibniz 1646-1716 a utilisé cette technique dans son De Arte combinatoria.

Voici un extrait du livre qui fait partie de notre programme "Ne pas mourir complétement ignare" , Yvon Belaval, Leibniz, Initiation à sa philosophie, Vrin :

"La thèse de Leibnitz est que nos concepts sont des composés d'idées simples, qui comme les lettres de l'alphabet ou les facteurs premiers, doivent être en petit nombre : on pourrait en dresser le tableau et les numéroter.
Ces idées simples, primitives - exemples :
  • 1, le point;
  • 2, l'espace;
  • 3, le "situé entre" ....
  • 9, la partie;
  • 10, le tout ...;
  • 14, le nombre;
  • 15, la pluralité ...; -
constituenet les termes du premier ordre.
En les combinant deux à deux - ce que Leibniz écrit : com2natio - on obtient les termes de second ordre :
par exemple
la quantité est le nombre des parties (...)
En les combinant trois par trois - com3nation - on obtient les termes de troisième ordre :
par exemple
Intervallum est 2.3.10
c'est-à-dire :
l'intervalle est l'espace (2) pris dans (3) un tout (10). Et ainsi de suite, en procédant, par con3natio, con5natio, etc.

Dès lors, par un calcul analogue à la décomposition d'un nombre en facteurs premiers, on peute résoudre le problème :

"Etant donné un sujet, trouver tous ses sujets possibles", puisque Leibniz croit - à tord selon nos logiciens - que tout jugement est réductible à la forme prédicative "S est P" (...) (*)
Il suffira de diviser un terme en ses facteurs premiers, pour en avoir tous les prédicats possibles :
par exemple,
les prédicats possibles d'intervalle sont 2 (l'espace), 3 (l'intersituation), 10 (le tout), dabord pris un par un ; ensuite, par com2natio, 2.3 (espace intersitué), 2.10 (espace, total), 3.10 (intersituation dans l'espace); enfin, par con3nation, le produit 2.3.10 qui constitue la définition de l'intervalle. (...) "

(*) La forme "sujet (ou objet) est (copule) attribut (ou propriété ou prédicat)" qui nous vient d'Aristote a posé des tas de difficultés... et a entraîné bien des discours.
Il a fallu l'invention des relations pour supprimer ces difficultés.
Suite à Aristote, le paradigme de la phrase déclarative a été sujet-copule-prédicat (le terme copule1 a été introduit par P. Abélard au XIIe. siècle). Par exemple, « Socrate est mortel ». Bolzano, des siècles plus tard, préférera exprimer la copule par le verbe avoir au lieu du verbe être. De manière implicite, on a considéré qu'il y avait une bijection entre les éléments de la phrase déclarative et la « structure de la réalité », de sorte qu'on puisse dire qu'une phrase est vraie ou non. On en arrive ainsi à considérer que la réalité est composée de choses qui ont ou n'ont pas des propriétés2. « Il s’agit là, on le voit bien, non plus d’une remarque concernant le langage, mais d’une thèse " métaphysique " concernant la structure de ce qui « est » en général. De la logique, on passe à l’ontologie (= " science " de l’être en général). (…) On en arrive alors facilement à l’idée qu’il y a ultimement dans la réalité des substances individuelles qui « ont » des propriétés qu’elles partagent avec d’autres substances individuelles. (…) c’est là que les problèmes commencent, problèmes qui ont été au cœur des spéculations métaphysiques depuis l’Antiquité. » (Schmitz 1999), p. 55 et s.

La structure de la phrase d'Aristote a eu aussi des conséquences dans le domaine de la « philosophie naturelle ». Comme l'écrit J.P. Jouary (Jourary 1973) , « Si le feu est regardé comme une chose - pour les présocratiques il est un des 4 éléments -, et non comme une réaction entre plusieurs choses, on ne peut rien comprendre. Or l ’observation nous présente le feu comme une chose ». La vision du feu comme une entité, un objet avec ses propriétés a bloqué l'invention scientifique. C'est en 1785 que Lavoisier a détruit la conception substantielle du feu et la théorie phlogistique, en réalisant l ’analyse et la synthèse de l ’eau.

1 « Le "est" de la proposition "l'étoile du matin est Vénus" n'est évidemment pas une simple copule : si l'on consulte le contenu, "est" est une partie propre du prédicat ; en conséquence, le mot "Vénus" ne constitue pas à lui seul le prédicat. On pourrait également dire "l'étoile du matin n'est rien d'autre que Vénus" en développant en quatre mots le contenu du précédent "est". Dans ce cas, le "est" de "n'est rien autre que" est simplement copulatif. Ce qu'on énonce ici n'est alors pas simplement Vénus mais rien d'autre que Vénus. », (Frege 1971), p. 129 « Pour Abélard, la fonction propre du verbe être, qu'il soit ou non exprimé séparément du prédicat, est d'assurer la jonction, copulatio, entre le sujet et le prédicat, sans lesquels les deux termes ne forment pas une proposition. Il faut bien distinguer entre ce sens copulatif du verbe être et son sens existentiel. » (Blanché 1996), p. 142

2 On trouve comme synonymes attribut, caractéristique.


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